Sous Apparence : autre avant-goût en répétition
Sous Apparence sera la première création de Marie-Agnès Gillot pour le Ballet de l’Opéra de Paris. La pièce sera présentée dès le 31 octobre au Palais Garnier, avec le ballet Un jour ou deux de Merce Cunningham. Après les premiers détails dévoilés et quelques questions à Laurence Equilbey, qui s’est occupée de la musique, place à un premier avant-goût de la chorégraphie.
Une répétition publique a en effet eu lieu le samedi 13 octobre dans un Amphithéâtre Bastille plein à craquer. Pendant une heure, Marie-Agnès Gillot a fait répéter trois de ses interprètes, Vincent Chaillet, Alice Renavand et Aurélia Bellet, avec en cheffe de chant Caroline Beaugrand. A vrai dire, il était difficile d’avoir un aperçu de la chorégraphie après cette heure, car plus qu’une séance de travail, ce fut surtout un moment de création en direct.
Maire-Agnès Gillot, dans ses fameuses guêtres en laine colorées, arrive déjà très concentrée. Pas de petite explication au public, elle lâche son micro et se tourne d’office vers ses interprètes. On aura connu des séances de travail plus interactive, mais cela donnait une ambiance assez intime, comme si en effet nous nous glissions en douce dans un studio de répétition, et regardions comment le geste se crée.
C’est très vite un pas de trois qui intéresse Marie-Agnès Gillot. Vincent Chaillet est face au public, les bras en croix. Alice Renavand et Aurélia Bellet sont de chaque côté, de dos. Commence alors un assez fascinant travail de création. La chorégraphe cherche des idées, teste des pas, des choses. Elle semble ne se poser aucune barrière, et fonctionner plutôt à l’instinct. Tout le monde est sur pointes, mais la gestuelle est résolument contemporaine, très terrienne.
Il y a beaucoup de partage entre ces quatre artistes. Parfois, Marie-Agnès Gillot s’inspire de ce que lui propose les danseurs, en particulier d’Alice Renavand. Elle leur indique un mouvement, leur explique ce qu’elle veut. Le danseur ou la danseuse va le faire un peu différemment. Ce peut être une façon de bouger les mains, une manière particulière de se tenir à son partenaire, mais tout à coup, c’est ce geste-là qui l’intéresse. Son assistante est au premier rang, filme et prend des notes. « C’était moche, là ? », se retourne vers elle la chorégraphe, pas convaincue par un passage.
Marie-Agnès Gillot teste aussi. Elle prend la place d’une des danseuses, et cherche le mouvement. Elle développe sa jambe, s’enroule autour de Vincent Chaillet, saute sur ses pointes. La difficulté reste que les danseuses sont deux, et ont donc peu d’espace pour danser sans se rentrer dedans. Il faut trouver le geste précis, savoir où la jambe doit se placer, quand tourner. Et cela provoque quelques fou-rire, les idées de Marie-Agnès Gillot semblant aller plus loin que ce que le corps humain est capable de faire.
Ce long travail est celui d’un écrivain ou d’une écrivaine face à une page blanche. On écrit une phrase, on rature, on recommence. Parfois, rien ne plait. Parfois la moitié de la phrase convainc et pas le reste. Parfois, c’est juste un mot, une virgule, qui doit être changé pour que la phrase soit ce que l’on veut. On ne sais d’ailleurs pas forcément ce que l’on cherche, on le sait quand on l’a trouvé. Ici, les pas se déroulent, puis tout ça coup la chorégraphe lance « C’est ça« , « J’aime bien« , et l’on sent dans l’intonation de sa voix que c’est ce qu’elle cherchait.
Au final, 50 minutes ont été nécessaires pour deux minutes de chorégraphie. Pour le public, cela semble un peu flou, mais le danseur et les danseuses ont compris, et filent le passage à la fin de la répétition. Cet extrait sera-t-il le même lors de la Première, lors de la Dernière ? Rien n’est moins sûr. L’œuvre est en constant mouvement, et la chorégraphe semble ne rien s’interdire, y compris tout transformer à n’importe quel moment.
Et sinon, alors, les hommes sur pointes, qu’est-ce que cela donne ? Difficile à dire. Cette séance de travail a démarré avec un court filage d’un passage qui semble déjà bien construit. Les filles sont en duo au sol, comme écrasées par la douleur ou le doute. Là encore, la gestuelle est très contemporaine. Et paradoxe, Vincent Chaillet a pour sa part droit à un passage plus classique, arabesques, développés et pirouettes tout en légèreté. J’avoue être restée assez perplexe. Malgré ses facilités, le danseur ne peut avoir la même aisance et le même naturel qu’une femme qui travaille sur pointes depuis 20 ans. Il en résulte une drôle d’impression, mais peut-être est-ce voulu, l’œil du public n’y est pas habitué non plus. Disons que ça n’a pas été la révélation, je me suis même demandée ce que cela apportait, mais il ne s’agissait que de 30 secondes de chorégraphie.
Le travail sur le sol était bien plus intriguant. Un tapis spécial avait été posé, visiblement glissant. Pour le tester, les danseurs se sont d’ailleurs essayés à quelques glissages sur pointes. De vraies glissades, pas le pas de danse, celles où l’on prend son élan pour se laisser glisser sur quelques mètres, sauf qu’ici elles se font sur la pointe des pieds. Visiblement, le sol n’était pas assez glissant pour l’effet voulu, mais ma curiosité a été aiguisée.
Pour finir, parlons un peu du tout début. Cette séance de travail a a démarré, comme à son habitude, par un petit discours de Brigitte Lefèvre, mais qui avait en ce samedi une drôle de saveur. La Directrice de la Danse a ainsi remercié ceux et celles qui avaient relayé « de manière positive » sur les réseaux sociaux la tournée américaine de la compagnie. Elle a aussi salué les « vrais amateurs » qui étaient tombés sous le charme de la compagnie, à se demander qui sont les « faux » : les critiques new-yorkaises ou le public parisien qui n’arrête pas de râler. Brigitte Lefèvre a enfin demandé au public que ne faire que des « commentaires positifs » sur cette répétition. Une façon bien maladroite de rappeler au public qu’il ne s’agissait que d’une séance de travail, et non pas d’un spectacle ? Ces indications ont en tout cas presque plus fait parler d’eux à la sortie que la répétition en elle-même.
Photos : Elendae.
elendae
C’est marrant tu n’as pas aimé Vincent Chaillet sur pointes ? du côté de notre brochette on a entendu comme une espèce de ronronnement collectif quand il a fait son arabesque ^^
Gaëlle
Bonjour,
Comment faut-il faire pour assister aux répétitions publiques comme celle-ci ?
Merci d’avance
Amélie
@ Elendae : Mais oui, j’ai vu ça, Vincent Chaillet a fait l’unanimité de l’autre côté de la salle 😉 On verra le soir de la première.
@Gaëlle : Quelques places sont régulièrement en vente sur Internet. Sinon, n’hésitez pas à arriver 10 minutes avant le début, il y a toujours une file de personnes sans billets, et tout le monde peut toujours rentrer. Forcément, vous n’êtes pas au premier rang, mais la configuration de l’Amphithéâtre Bastille où ont lieu ces séances de travail permet de voir de partout. Vous trouverez dans le lien ci-dessous les dates des prochaines répétitions (tout en bas de la page, ce sont les « rencontres ballet ». http://www.operadeparis.fr/saison_2012_2013/convergences/
Estelle
Ouaaa, des glissades sur pointes ! ça doit être qqch ! ils doivent avoir les chevilles en béton armé…
petitvoile
On connaît l’amour de Mme Lefèvre pour sa compagnie comme celui de tous les directeurs de cies. Tous dirigent la meilleure cie du monde! Ce qui en soit n’est pas complètement faux car tous se donnent au maximum pour le meilleur.La danse est historiquement l’art mineur des arts de scène et doit constamment travailler d’arrache pied pour obtenir ce que la musique et l’opéra notamment ont déjà ou obtiennent en un claquement de doigt.
Se connaît aussi l’influence des réseaux sociaux aujourd’hui et on ne peut nier que l’accessible à tous n’est pas toujours heureux au résultat quand fusent des critiques d’ignorant(e)s il faut bien le dire. Comme il faut bien le dire aussi, ce sport est très français qui consiste à systématiquement descendre ce qui se fait chez soi pour encenser l’ailleurs. L’art n’est imposé à personne , quelle idée de continuer à payer son ticket pour ce qu’on n’aime pas à répétition quand on a tellement mieux chez le voisin!
Quoiqu’il en sera de cette initiative MAG, je crois que Brigitte Lefèvre n’a pas tort de demander son encouragement car la danse classique française manque cruellement de chorégraphes créatifs et l’élan demande de la persévérance. Autant il est facile de chorégraphier de la copie d’anciens, autant faire du neuf depuis une tradition est difficile. Les Mats Ek, Kylian & co ont été très soutenus avant d’être mûrs pour voler de leurs propres ailes, ne l’oublions pas!
Gaëlle
Merci beaucoup pour cette réponse rapide et complète.
Continuez ce blog, c’est formidable !